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L’Humanisme, laïcisation du Christianisme

vendredi 18 janvier 2008, par Yves


L’Humanisme, laïcisation du Christianisme

 

Qu’est-ce que le Christianisme ? C’est une religion qui pose comme un dogme qu’un Dieu aurait créé le monde et aurait donné aux humaines[1] (et particulièrement aux hommes) une dignité particulière qui leur offre en privilège le droit de régner sur le monde. Par la grâce de Dieu, les humaines ont pouvoir de domination sur le monde. Ce qui leur donne cette dignité particulière, c’est qu’ils/elles sont conçus à l’image de Dieu, c’est-à-dire qu’ils/elles sont libres, contrairement par exemple aux autres animaux. Cette idée que les humaines sont libres permet de les placer face à leur responsabilité (ils/elles ne doivent pas désobéir à Dieu) de les culpabiliser, de les terroriser avec l’idée du châtiment infernal (c’est le Christianisme qui, le premier, je crois, a propagé l’idée d’une culpabilité et d’une responsabilité purement individuelles).

 

Qu’est-ce que l’Humanisme ? C’est une philosophie qui donne aux Humaines une place à part dans l’Univers, parce que bénéficiant d’une dignité particulière qui leur donne des droits tout en justifiant du coup que tous les autres n’en aient aucun : c’est cette dignité particulière, que les humaines ont du fait d’être humaines, qui leur donne un pouvoir de domination sur le reste du monde. Cette dignité particulière, ils/elles la tiennent de ce qu’ils/elles sont par Nature libres, contrairement aux autres animaux : la Nature leur a donné suffisamment d’intelligence et de liberté pour qu’ils/elles s’en extraient par elles/eux-mêmes : ils/elles quittent la Nature et fondent la Société (on retrouve ici cette idée chrétienne que Adam et Ève, en croquant la pomme de connaissance, ont quitté l’état de nature et d’innocence pour devoir trimer pour vivre, créant dès lors leurs propres conditions de vie). Cette idée que les humaines sont libres permet de les placer face à leur responsabilité (ils/elles ne doivent pas désobéir à la Société/Nature), et de les culpabiliser, de les terroriser avec l’idée de punition et avec l’idée qu’il y a des bonnes et des méchantes.

 

Une petite histoire…

« … A partir du XIIIème siècle, et le phénomène s’amplifiera sans cesse par la suite, on se re­met à parler d’Humanité, de Nature et de Liberté en essayant d’autonomiser ce qui ressort du monde sensible de ce qui relève du Salut. C’est que les Etats croissent en puissance, ainsi que le rôle des marchands, des Parlements, de l’individualisme : il s’ensuit de nouveau une véri­table fermentation idéologique, qui suscite notamment le nominalisme puis le vo­lontarisme (philosophies théologico-politico-juridiques). On reparle d’individus, de peuples, d’histoire, de droit naturel, etc. C’est la Modernité qui s’engendre. Avec la sécularisation et la « rationalisation » des débats intel­lectuels, effet indirect de la montée en puissance des na­tions et de la classe bourgeoise, c’est progressivement la philosophie qui prend le relais de la théologie, mais en prenant généralement garde, sur des thèmes fondamentaux comme celui du libre arbitre et de la suprématie humaine, de poser les mêmes questions dans des termes similaires.

Pic de la Mirandole, considéré comme un des premiers humanistes de la Renaissance, ne s’écarte guère des dogmes chrétiens dans son Discours sur la dignité de l’Homme (1489), si ce n’est que l’accent est mis désormais sur l’Humanité et ses intérêts sensibles ; Dieu parle à l’Homme :

« Je t’ai placé au milieu du monde afin que tu puisses plus facilement promener tes re­gards autour de toi et mieux voir ce qu’il renferme. En faisant de toi un être qui n’est ni céleste ni terrestre, ni mortel ni immortel, j’ai voulu te donner le pouvoir de te former et de te vaincre toi-même ; tu peux descendre jusqu’au niveau de la bête et tu peux t’élever jusqu’à devenir un être divin. En venant au monde, les animaux ont reçu tout ce qui leur faut, et les esprits d’un ordre supérieur sont dès le principe, ou du moins bientôt après leur formation, ce qu’ils doi­vent être et rester dans l’éternité. Toi seul tu peux grandir et te développer comme tu le veux, tu as en toi les germes de la vie sous toutes ses formes ».[2]

L’humanisme des siècles ultérieurs s’autonomisera toujours de plus en plus de toute réfé­rence à Dieu, tout en gardant précieusement la vision chré­tienne d’une Humanité libre et hors-Nature : une Humanité que ne sur­plombe plus la toute puissance et la toute valeur divines, et qui reprend en fait à son compte les attributs de Dieu.[3] »[4]

 

Très vite, on essaye par la suite d’exiler Dieu dans les Cieux (“Notre Père qui êtes aux cieux… Restez-y !”) : les commerçants notamment veulent changer l’ordre social à leur profit et le libérer de tout ce qui n’est pas "rationnel". On en vient à critiquer la religion, et on la critique… au nom de la Nature, qu’on fait passer pour être… la réalité, le réel, la raison, etc. C’est le cas des Voltaire, Diderot, Rousseau, Kant, etc. Tous les philosophes des Lumières ont en fait remplacé Dieu par Nature, tout en croyant parfois se livrer à une critique radicale de la religion !

 

Au siècle des Lumières, « il serait interminable d’inventorier dans les textes philosophiques les occurences telles que : la nature a voulu… la nature fait que… la femme par nature est… Or la nature finalisée se confond, dans la mesure où elle est ordre et norme, avec la raison. Le recours à la nature permet donc de produire une théorie rationnelle de… »

Michèle Crampe-Casnabet, Saisie dans les œuvres philosophiques (XVIIIè siècle), in Histoire des femmes, T. 3, XVIè-XVIIè siècles, sous la direction de Nathalie Zemon Davis et Arlette Farge, Plon, 1991, p. 336

 

Plus tard, la première Déclaration Universelle des Droits de l’Homme est d’ailleurs proclamée sous le patronage de Nature. Les hommes (blancs adultes mâles) naissent par Nature libres et égaux en droits…

Du coup, lorsqu’autrefois on essayait de tout légitimer par Dieu, on va dès lors tout essayer de légitimer par Nature : si les femmes ont la possibilité d’enfanter, c’est bien que Nature veut qu’elles enfantent ! Si les Noires ont des corps vigoureux mais peu de tête, c’est bien que Nature veut qu’on les prenne en charge, pour le meilleur des mondes ! Si les animaux ont si bonne chair, c’est bien que Nature les a fait pour qu’on les mange ! La preuve, c’est d’ailleurs qu’ils se mangent entre eux !

Si les choses sont comme elles sont, c’est qu’elles répondent à une intention qu’il faut décrypter s’y soumettre. C’est ainsi que fonctionnent toutes les religions :  il y a des signes à déchiffer qui nous donnent des messages à suivre, des modèles à respecter, des natures dont il ne faut pas s’écarter, des essences à réaliser.

 

Le Christianisme et l’humanisme aiment les hiérarchies : ils les créent

L’humanisme, est, au nom de Nature ou de Dieu, une vision hiérarchique du monde : le monde est évalué en termes de valeurs, ou, ce qui revient au même, en termes d’« êtres ». Il se base sur des échelles d’Être, des échelles de valeur. L’Être suprême, c’était Dieu, maintenant ce sera l’Homme. En haut de l’échelle, au sommet de l’évolution, aboutissement de 4 milliards d’années d’histoire de la Nature, il y a l’Être humain – et pas, par exemple, l’Être chat. Et puis, il y a les sous-êtres, les sous-humaines, par exemple. L’expression signifie bien que la notion d’humaine n’est pas une description de réalité, mais fondamentalement, une valeur. Il y a des humaines, peut-être aussi des sur-humaines, mais il y a surtout des sous-humaines.

Les sous-êtres sont majoritairement ceux/celles qui ne sont pas êtres humaines : les autres êtres vivants, tous remisés dans une même catégorie non humaine, « la Nature », dont ils sont censés être des rouages fonctionnels. Tous ceux-là ne comptent pas, ils ne sont pas censés avoir de vie propre, de désirs propres, de conscience propre. Ils n’existent pas par eux-mêmes, ni pour eux-mêmes. Ont peut donc en faire ce qu’on veut, et on ne se gêne pas : c’est ainsi que nos société perpètrent en toute bonne conscience et en toute banalité le plus gigantesque et effroyable massacre qui ait jamais existé. Pour la France seule, ce sont plus d’un milliard d’individus sensibles vertébrés (terrestres) qui sont tués chaque année pour être… mangés, eh oui ! et peut-être de l’ordre de dix milliards de poissons ! Sans parler – et là, les chiffes sont proprement incommensurables – de dizaines ou centaines de milliards d’invertébrés, dont on ne sait généralement même pas pour la plupart s’ils souffrent ou non - j’espère de tout cœur que non ! Puisque tous ceux-là ne sont pas humains, ne sont pas libres, n’ont pas de dignité, ne sont pas faits à l’image de Dieu, qu’importent leurs souffrances, leurs joies, leurs désirs de vivre ! Ils ont droit à notre mépris : mé-pris signifie non-valeur. Dans nos sociétés, c’est infiniment dangereux de faire partie de catégories méprisées.

Ce peuvent d’ailleurs aussi être selon les circonstances des humaines qui sont classés comme sous-humaines : les esclaves, les femmes, les enfants, les criminelles, les fous/folles, les handicapées, et, toujours, les pauvres… Tous ceux/celles qui sortent (qu’on fait sortir) de l’humaine ; c’est-à-dire, de l’image de l’humaine type, de l’humaine dans son “être vrai”. Il est bien clair que dans notre civilisation, quand on parle de l’humanité, l’image qui se forme dans notre esprit, et qui en est la représentation, c’est celle d’un humain adulte mâle blanc, bien constitué, non handicapé, et financièrement aisé. N’est pas pleinement humaine qui veut. Il faut correspondre à un certain nombre de critères physiques, mais aussi moraux : les “grandes criminelles” sont anormaux, inhumaines, bestiaux, monstrueux/ses. Les pauvres aussi sont repoussantes et inquiétantes, livrées à de bas instincts animaux, comme l’envie, la concupiscence… Les animaux, mais aussi les femmes, sont par contre l’“Autre” de l’Humanité… D’ailleurs, on les traite idéologiquement de façon similaire : la vie secrète et merveilleuse des animaux fait pendant aux secrets inquiétants de la féminité, etc.

Être humaine, pleinement humaine, confère des privilèges : celui d’avoir des droits, d’être traitée par les autres comme une égale. Ce n’est pas rien, quand on voit comment sont traitées de plein droit toutes ceux/celles qui ne sont pas humains ou pas pleinement humaines. Du coup, on y tient, à rester humaines. Et il faut de fait se donner beaucoup de mal pour rester humaines : il ne faut pas faire la bête, il faut être intelligente, il ne faut pas être bestiale, pas se gratter le nez, pas manger avec les doigts, pas se balader à poil, pas tuer d’autres humaines par plaisir, encore moins les manger, pas être égoïste, pas être sale, pas être pauvre, pas prendre trop ostensiblement le parti des dominées, etc. La liste est sans fin, et varie selon les époques, les événements, les pouvoirs en place, les (micro-) sociétés…

Le repoussoir absolu, toujours, c’est l’animalité (envers de l’humanité), comme autrefois le diable (qui était déjà la Bête) : ainsi, l’archevêque de Manille (Phillipines) disait il y a quelques mois que les préservatifs sont “bons uniquement pour les animaux, pas pour les êtres humains” !

Autrefois, l’être même de chacune était sa “fidélité” à Dieu, on n’était jamais assez “sainte”. Aujourd’hui, chacune se doit de respecter l’humanité en elle/lui, de ne pas l’offenser, de rester digne de son humanité : on n’est jamais assez humaineÊtre humaine, ça se mérite ! Les criminelles, les asociaux, etc., sont repoussées hors-humanité !

D’où un rapport religieux à la morale humaniste : on doit s’y soumettre. C’est cette soumission entre autre qui nous procure de la valeur, en garantissant que nous collons bien à l’image de ce que nous nommons humaine et donc que nous aurons bien droit aux privilèges qui en découlent.

 

Morale chrétienne et morale humaniste :

L’humanisme, tout comme le christianisme, pose des dogmes de conduite : les morales qu’ils imposent sont basées sur des interdits et des devoirs. Devoir de respect de la dignité humaine : c’est pour cela qu’il ne faut pas utiliser les autres, mais les traiter comme des fins en soi et non comme des moyens. Sous l’Ancien Régime, c’était l’atteinte à l’ordre créé par Dieu qui était punie. Aujourd’hui, il est interdit d’attenter à la dignité humaine : en France c’est interdit par la loi. La morale et la loi, dans les deux cas, punissent plus une sorte de sacrilège qu’un dommage à autrui[5]. Sur ce sujet, je conseille de lire ce qu’en disait déjà au siècle dernier le philosophe individualiste Max Stirner.

Aujourd’hui, par exemple, lorsque la loi réprime le meurtre, ce n’est pas l’atteinte à la vie de la personne tuée qu’elle considère, mais l’atteinte au caractère sacré de la vie humaine. C’est pour cela que sous le christianisme comme sous l’humanisme, on n’a pas le droit moral ni légal d’aider une amie (humaine) à se suicider ni même quiconque (humaine) aux prises aux pires souffrances ![6]

Lorsque la loi réprime la torture, ce n’est pas parce qu’elle fait mal à telle ou telle personne, mais parce qu’attaquer une humaine dans son corps constitue une atteinte à la dignité humaine ; il aura d’ailleurs fallu attendre 1975 pour que les sévices psychologiques soient reconnus comme torture par la Commission Européenne des Droits de l’Homme : c’est que les sévices corporels constituent immédiatement dans notre imaginaire une atteinte à la dignité humaine (“traiter” une humaine dans son corps nous rappelle à tous notre corporéïté, notre bête animalité, et les traitements que l’on réserve justement aux non-humains), ce qui n’est pas le cas de la “torture blanche”.

Lorsque des atteintes de grande importance à “la vie humaine” sont effectuées, on parle alors de crime contre l’Humanité : tant de millions de mortes, ce n’est pas effroyable à cause de chaque victime, mais à cause de l’atteinte à l’Humanité que cela constitue ! Cela devient un Sacrilège ! Pareil pour la notion de génocide…

Dans chacun de ces exemples, ce n’est pas le dommage réel dont une individue réelle a été victime qui est considéré, c’est l’atteinte à une idée que nous nous faisons de nous-mêmes, à la valeur que nous nous donnons – non pas en tant qu’individues, mais en tant qu’humaines. Nous ne sommes reconnues individues que parce que, préalablement, nous avons été reconnues humaines, et ce n’est pas moi en tant qu’individu particulier, singulier, qui suis à prendre en compte, mais ce dont je suis dépositaire, mon humanité, ersatz moderne de la divinité des chrétiennes.

Ces morales sont des morales de respect de valeurs, et non pas des morales de prise en compte des intérêts réels des individues.

Le Christianisme et l’humanisme condamnent ainsi de nombreux actes qui ne font pourtant de mal à personne, voire qui font beaucoup de bien ou sauvent des vies ; cela peut être la sexualité hors mariage ou hors procréation par exemple, la contraception, la pornographie[7], etc.

Pour le christianisme et pour l’humanisme, la soufrance n’importe pas par elle-même, et il n’y a pas à lutter directement contre : ce sont seulement les mauvaises intentions ou les atteintes à des valeurs divines ou humaines qui sont mal. Si pour le Christianisme la souffrance peut même être une bénédiction dans la mesure où elle nous rapproche de Dieu, pour l’Humanisme, elle n’est un mal que dans la mesure où elle diminue notre dignité et notre liberté !

 

De plus, ce sont des moralismes : ce qui compte ainsi moralement, ce n’est pas ce que l’on fait et les conséquences que cela a dans la réalité ; c’est l’intention ou la motivation de l’acte.

C’est au niveau de la vie quotidienne que c’est le plus criant : on peut faire les pires atrocités pourvu que ce soit en toute ingénuité, en toute bonne conscience. Ainsi, les personnes qui mangent de la viande, et qui commanditent donc quotidiennement le meurtre d’individus sensibles pour des motifs dérisoires, ne considèrent pas que ce soit “mal” : le fait qu’ils/elles ne le ressentent pas spontanément comme mal est considéré comme un argument fondamental prouvant que cela ne saurait être éthiquement grave. Il en va de même de la plupart des dominations : le fait que je ne me ressente pas comme dominant, comme méprisant, comme sexiste, comme antisémite, comme raciste, comme humiliant quiconque… annule moralement la domination, le mépris, le sexisme, l’antisémitisme, le racisme, l’humiliation… Ils n’existent pas puisque je n’en prends pas conscience…

Au niveau de la loi aussi, on peut faire les pires horreurs si c’est en service commandé, en tant que fonctionnaire au service de l’État, par exemple, et non pas pour son propre compte. Encore une fois, ce sont les intentions ou les motivations qui sont primordialement prises en compte et non les conséquences des actes, les résultats. C’est ainsi que les policieres, les geôlieres, les professeures ou instituteurs/trices, les juges, les bouchers, les consommateurs/trices, etc., peuvent se poser très peu de questions sur la signification morale de ce qu’ils /elles imposent à d’autres.

Les morales chrétienne ou humaniste se préoccupent ainsi bien plus de ce qu’il y a dans la tête de ceux/celles qui agissent que de ce qui arrive à ceux/celles qui subissent : du coup, ce sont fondamentalement des morales de dominantes, qui œuvrent socialement au profit des dominantes.

Du coup, ces morales sont orientées vers un flicage de la pensée, bien plus que sur le désir réel de prévenir tel ou tel acte. Ce qui importe au Christianisme ou à l’Humanisme, c’est plus d’avoir des individues conformes à l’idée de ce qu’ils/elles doivent être (des croyantes ou des humaines), qui ne s’écartent pas de ce qu’ils/elles doivent être, que de changer le monde vers quelque chose de mieux.

C’est ainsi qu’on ne juge pas les actes et les événements en bons ou mauvais (en fonction de tel ou tel critère, dont le plus logique est les conséquences pour tous les individus que ça affecte), mais les gens en bonnes ou méchantes, vertueux/ses ou criminelles, humaines ou inhumaines.

 

Christianisme, humanisme et manichéisme

Christianisme et humanisme ont en commun d’user des processus de fascistisation/diabolisation : les démocraties occidentales au lendemain de la 2e guerre mondiale se sont inventées, sur le plan politique et moral, un Diable à leur mesure : le nazisme est censé incarner le mal absolu, le repoussoir absolu. Et, comme le diable, il reprend les attributs de la Bête : “la Bête immonde qui sort de sa tanière” (Jean Ferrat) s’oppose au parti de l’Humanité (je ne parle pas seulement du PCF). Cela permet de blanchir les démocrates des pays impérialistes et de faire passer leurs crimes pour des peccadilles, des pêchés mineurs. Les crimes contre l’Humanité, ce sont les autres. Les crimes des démocrates des pays dominants, ce sont des crimes pour l’Humanité, ce ne sont donc pas des crimes : lors par exemple de la guerre contre l’Irak, 200 000 humaines “victimes du dictateur Saddham Hussein” ont été tuées par les forces alliées sans que la population occidentale s’en émeuve outre mesure. C’est que Saddham Hussein avait été pour les besoins de la cause dépeint dans les médias comme un “nouvel Hitler” – tout massacre par les Alliés en était donc par avance justifié. Peu, finalement, se sont étonnées de ce que cet Hitler soit resté au pouvoir même après la guerre : la bonne conscience endort la conscience, endort la méfiance.

 

L’au-delà du Christianisme et le futur de l’humanisme : comment oublier le présent

Christianisme et humanisme ont en commun enfin de nous faire miroiter des jours meilleurs, de nous projeter vers un ailleurs resplendissant : le mythe du Progrès pour l’humaniste normal qui attend que ça s’arrange tout seul, par la force des choses, le mythe du Grand Soir pour le/la révolutionnaire qui attend que les choses précipitent d’elles-mêmes ; le Christianisme, lui, promet le Paradis aux croyantes. L’Humanisme promeut l’idée d’une société construite par les individues œuvrant ensemble, une société qui dépend de leur activité, et qui va vers des lendemains qui chantent, une société liée par une fraternité d’espèce : travail, famille, espèce. C’est la Longue Marche du Progrès, c’est Mao qui dit : “Ça prendra 10 ans, 100 ans ou 1000 ans, mais on arrivera au communisme”. C’est la croyance que le bonheur futur rachètera tous les malheurs présents. C’est la croyance que la rivalité de toutes mènera à un monde meilleur (Kant, les libéraux, etc.)… Heureusement qu’un futur radieux illumine d’ors et déjà un présent misérable…


Chrétiens et humanistes, main dans la main, les pieds dans une mare de sang, chantent ensemble vers des lendemains qui…

 

Yves Bonnardel, égalitariste

 

 

Encadré : Des raisons (humanistes) qui ne sont pas les nôtres pour ne pas manger d’animaux

 

« La viande est porteuse de sa propre charge d’animalité. Elle limite l’homme dans l’élévation de sa pensée. La pensée n’appartient pas au règne animal. La pensée est le propre de l’Homme, en tout cas la pensée consciente, la pensée construite, évolutive. Et par contre l’Animal, lui, est gorgé de force vitale, de force astrale, et ce n’est ni bien ni mal bien sûr, c’est son propre capital énergétique, ce qui lui permet de croître sur son plan d’évolution, de se battre, de grandir, d’être en lutte pour la vie et on s’aperçoit tout à fait logiquement que consommer de la viande, c’est en quelque sorte s’animaliser, cultiver l’ego au sens étroit et péjoratif du terme, c’est cultiver la violence ou en tout cas l’entretenir en soi plus ou moins consciemment, car il est évident que la viande stimule, la viande excite, la viande astralise, pourrait-on dire…

Qu’est-ce que ça veut dire, un courreur de compétition, un grand sportif qui ne se maîtrise plus parce qu’il a pris de la viande ? C’est bien qu’une substance étrangère est entrée en lui, et, la maîtrise étant le propre de l’Homme, pensant, réfléchi, organisé, c’est bien une charge d’animalité qui est venue là perturber le mental, le libre arbitre et le calme de notre sportif. Donc, ce non-contrôle de soi, cette agitation, c’est la charge astrale, c’est l’animalité du repas carné. Il n’est pas nocif bien sûr pour l’animal qui lui se développe dans cette astralité, c’est son plan de conscience, il s’y bat, il s’y reproduit, et c’est tout à fait normal. Mais par contre, appartiennent aussi à son plan de conscience la peur, la jalousie, la bestialité, la sensualité qui, peu à peu, s’intègrent à notre propre conscience. »

Transcription d’un discours du médecin naturopathe Daniel Kieffer,

au Congrès de Naturopathie de 1986-1987, à Versailles.

 

On retrouve de nombreux thèmes intéressants, dans la mystique réactionnaire qui est développée par Kieffer. L’homme, le vrai homme, c’est celui qui est pensé, réfléchi, calme, et qui maîtrise ainsi ses « pulsions », son corps, sa sensualité… Mais il y a en lui une part animale, qui ne demande malheureusement qu’à ressurgir et à dominer, ce qui risque d’arriver si on mange… un animal : c’est le mythe de la transsubstantiation, qui veut qu’on soit ce qu’on mange. Mais cela implique, comme le répète souvent Kieffer, qu’il y aurait une essence d’animalité et une d’humanité (l’une limitant l’autre, en limitant « l’élévation de la pensée »), et que, si les humaines sont à cheval sur ces deux essences (ce qui implique bien sûr un constant effort pour s’élever, et pour ne pas retomber lourdement dans ces horribles choses que sont la bestialité, la sensualité…), elles sont par contre toutes deux sur des plans différents, ah mais alors, complètement différents !

Kieffer nous propose donc une vision du monde bien catégorisée, et qui reprend tous les thèmes les plus éculés véhiculés par le langage lui-même : les humaines se situent, au niveau « astral » (spirituel ?) sur un plan tout autre, et plus élevé, que les autres animaux, qui eux, se situent tous sur un même plan, malheureusement pour eux un peu en contrebas (mais heureusement, ils ne sont pas capables de s’en rendre compte). L’essence de l’Homme, c’est sa pensée, alors que l’essence des autres animaux, c’est leur corps et les passions qu’il suscite. Bien sûr, le portrait de l’Humanité dressé ici est le portrait qu’ont élaboré les sociétés partriarcales et humanistes : la pensée (raison…) est là pour maîtriser et dominer le corps et ses passions, avant (mais on n’en parle pas ici) de dominer le reste qui nous entoure. Alors que les autres animaux restent immergés au sein de « Mère Nature » et gardent leur innocence (« bienheureux les pauvres d’esprit ») en restant déterminés par leur nature propre, les humains s’élèvent par leur pensée et… émergent de la Nature, et instituent leur vie avant de soumettre et régler le cours du monde.



[1] Une des discriminations inter-humaines majeures est celle qui concerne les deux genres, que le langage reflète très directement à tous niveaux. J’utilise des e

soulignés pour marquer de façon plus égalitaire l’existence conjointe des catégories sociales hommes et femmes. Ainsi, par exemple, « humaines » signifie « humains et humaines ». J’omets ces e soulignés lorsque cela alourdirait trop la lecture du texte.

[2] Cité par Jacob Burckhardt dans La civilisation de la Renaissance en Italie, et repris (et en­censé !) par Georges Canguilhem, qui termine sur cette belle note L’homme de Vésale dans le monde de Copernic, coll. Les empêcheurs de penser en rond (ndm : ben tiens !), éd. Delagrange, 1991

[3] Se met en place à travers les siècles une vaste opération de réforme des mœurs, de civilisa­tion des mœurs, qui sur le long terme affermira la conscience d’espèce, le sentiment d’appartenance à l’Humanité, en établissant un contraste symbolique plus marqué avec la façon dont sont traitées les « bêtes » : cela passe par l’abandon par la pharmacopée de la Renaissance de l’utilisation de graisses et autres sous-produits de cadavres humains, par l’abandon progressif des châtiments corpo­rels des humains, des jugements d’animaux, par les exhortations de l’Eglise à séparer les étables des habitations, etc. C’est un immense travail de recension qu’il faudrait entreprendre sur ce thème ; on peut déjà se faire une idée sur la question en lisant La Chair impassible, de Piero Camparesi, Flammarion, 1986, et Le jardin de la Nature, de Keith Thomas, NRF-Gallimard, Paris, 1985

[4] Y. Bonnardel, Une liberté qui subjugue, 1994 (disponible à l’adresse du journal, contre 20 FF p.c.)

[5] Pour les humanistes, il faut se soucier des autres parce qu’à travers leur dignité c’est la nôtre qui le cas échéant est attaquée : « Les détenus incarcérés pour des affaires de mœurs sont l’objet de violences de la part des autres. Notre dignité peut-elle le tolérer ? » C’est par cette phrase obscène que s’ouvre l’article La punition des pointeurs, de Michaël Faure paru dans Libération du 27 nov. 1997, qui se clot par : « … les institutions qui les accueillent doivent leur garantir le même respect de leurs droits et de leur dignité. Les droits de l’homme perçus dans leur intégrité doivent être indivisibles, c’est-à-dire applicables à tous et en tous lieux, il en va de notre dignité à tous. »

[6] Cf. Igor Barrère et Étienne Lalou, Le dossier confidentiel de l’euthanasie, Coll. Points Actuels, éd. Stock, 1962

[7] En fait, la pornographie (comme beaucoup de films et livres, d’ailleurs) ne fait pas que du bien dans la mesure où elle véhicule généralement un très fort sexisme… Mais ce n’est pas à cause du sexisme en soi qu’elle est spécifiquement condamnée mais parce qu’elle montre les femmes utilisées dans leur corps, c’est-à-dire… dégradées dans leur humanité !

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